« Diversité Culturelle et Apprentissages : Migration et acculturation. Aspects linguistiques »

Projet « Didactique du français / ENAF »

L'histoire a tissé entre l'Algérie et le France des liens forts, dont une des manifestations les plus évidentes est la mise en contact de l'arabe et du français dans les usages langagiers quotidiens. L'Algérie connaît une situation de multilinguisme particulièrement riche, dans laquelle se côtoient l'arabe classique, les différents dialectes arabes et berbères, et le français. Et ce en dépit des différentes politiques linguistiques mises en oeuvre depuis 1962. Ainsi le locuteur algérien emploie-t-il l'une ou l'autre de ces langues en fonction du contexte de communication. L'élève algérien qui apprend le français à l'école n'est donc pas toujours dans une situation où il découvrirait une langue qui lui serait complètement étrangère, puisqu'il a pu l'entendre parler (quelquefois quotidiennement dans sa famille, à la télévision, etc.), repérer des graphies en français.

La situation linguistique française est toute autre : la langue dominante est sans conteste le français. Cependant, en raison du regroupement géographique, le plus souvent à la périphérie des grandes villes, des populations étrangères issues de l'immigration, d'autres langues circulent, en particulier dans les échanges privés. Mais ces langues ont toutes le statut de langues étrangères. En ce qui concerne la langue arabe, il est indéniable que dans certains quartiers elle est employée quotidiennement, essentiellement pour des usages familiaux. Cependant cette situation est en train d'évoluer et l'usage de la langue arabe se double depuis quelques années d'une revendication identitaire de la part de jeunes gens français d'origine maghrébine. Or paradoxalement l'arabe reste une langue dévalorisée en France, en particulier à l'école où au mieux elle est ignorée, au pire elle eststigmatisée. Parallèlement, les actions d'alphabétisation ou d'apprentissage du français langue étrangère et / ou seconde ( ENAF : scolarisation des Elèves Nouvellement Arrivés en France) mises en place actuellement dans le système scolaire ont essentiellement pour objectif de donner aux élèves nouvellement arrivés en France les bases à une maîtrise du français. Cependant, ces actions (par manque de moyens mais aussi de perspectives plus larges) ne parviennent pas à prendre en compte la situation linguistique particulière de ces élèves. Par ailleurs ces actions ne s'adressent pas aux élèves français issus de l'immigration pour lesquels finalement l'école française ignore les problèmes linguistiques.

Dans ce paysage sociolinguistique complexe, l'école a pour mission de permettre aux individus d'entrer dans la culture de la nation. Ainsi, les discours actuels, en France, sur l'éducation à la citoyenneté, au développement durable, à la mondialisation ... contribuent-ils à certaines formes d'acculturation. Pour les élèves issus de l'immigration les acculturations à mener sont plurielles. Le langage comme principal vecteur de culture à l 'école, comme outil d'appropriation de la réalité questionne les processus d'acculturation. La nécessité d'une maitrise du langage interpelle donc d'autant plus l'acquisition culturelle que la situation sociolinguistique et interculturelle est plus complexe. Comment appréhender alors les difficultés d'apprentissages de jeunes réunis dans une même classe mais issus de plusieurs vagues et de plusieurs pays d'immigration ?

La question qui nous préoccupe est donc de comprendre comment ces élèves se positionnent dans le processus d'acculturation que représente l'éducation scolaire dans une langue mal maîtrisée. Centrée sur les individus et non sur les institutions, la recherche vise à éclairer comment les divers aspects de ce qu'on nomme culture s'actualise chez les élèves et quels problèmes ceux-ci rencontrent dans leurs acquisitions. Un des enjeux de cette recherche est de proposer des pistes didactiques dans les deux pays dans la perspective d'une meilleure prise en compte des compétences langagières des élèves et plus particulièrement de leur situation plurilingue / diglossique et d'une amélioration des pratiques pédagogiques en fonction des problèmes constatés. Cet enjeu didactique est directement corrélé à la question de la catégorisation des langues dont les locuteurs font usage et selon le statut qu'ils leur accordent dans le contexte sociolinguistique concerné par cette recherche, et plus particulièrement l'école. Le projet vise à explorer les lieux de l'acquisition culturelle que sont les établissements scolaires, les centres culturels, les bibliothèques...

Pour appréhender en synchronie la dimension diachronique des problèmes liés aux élèves issus de migrations, il apparait nécessaire de mener l'enquête parallèlement dans le pays d'origine et dans le pays d'accueil. Les recueils de données auront donc lieu de manière symétrique en France et en Algérie, respectivement dans les agglomérations de Lyon et de Tlemcen, villes d'ancrage des deuxéquipes.

Le projet réunit les partenaires suivants :

  • Laboratoire LIDILEM Université Stendhal Grenoble 3,
  • Laboratoire de l'Université de Tlemcen
  • Établissements scolaires de la banlieue Lyonnaise (LP des Villes de Bron et Vaulx en Velin)
  • Établissements scolaires de la ville de Tlemcen
  • Centres culturels locaux : CCF Français de Tlemcen, Maison des jeunes et de la culture des quartiers, Bibliothèques proches des établissements scolaires
  • L'Institut Universitaire de Formation des Maitres de l'académie de Lyon
Cette exploration vise à éclairer les pratiques culturelles d'adolescents en France ou en Algérie et d'étudier les barrières que la maitrise de la langue et du langage dresse dans le processus d'acculturation des élèves d'origine étrangère en France. Pour cela la recherche vise à analyser en synchronie des pratiques culturelles d'élèves qui constituent la population cible : en Algérie avant l'expatriation, en France après.

Méthodes
Quatre approches sont nécessaires et justifient la diversité des méthodes de travail de l'équipe :
  • approche sociolinguistique
  • approche linguistique contrastive
  • approche sociologique des pratiques de l'écrit
  • approche didactique
Ces 4 approches sont complémentaires et imbriquées, dans la perspective d'une étude synthétique, à visée didactique. Ces méthodes sont centrées sur les aspects qualitatifs. L'enquête vise à décrire finement les pratiques culturelles et les obstacles langagiers et linguistiques que rencontrent des individus. Il s'agit donc de faire des études de cas. Cependant il convient de valider les outils de l'étude et ses résultats de manière quantitative. Des recueils de données par questionnaire seront donc effectués, qui reprennent les items des enquêtes qualitatives.